Objectifs IA at scale et agents spécialisés pour Renault
Depuis 2023, l’IA a permis à Renault de générer 400 millions d’euros d’économies. Et le constructeur souhaite aller plus loin encore pour devenir le premier fabricant de voitures qui marche à l’IA.
Constructeur automobile et éditeur de logiciel. Le métier de fabricant et industriel a beaucoup évolué au fil des années. “Le logiciel représente aujourd'hui 15 à 25 % de la valeur d'une voiture, et ce sera plus de 50% après 2020. Il faut maîtriser cet univers en interne", confiait dès 2017 un dirigeant du groupe.
Rien de surprenant dès lors à ce que Renault investisse largement dans l’édition logicielle et l’innovation technologique. Chez Renault, la transformation numérique porte d’ailleurs un nom : la Renaulution. Et dans ce plan, la valorisation des données et l’intelligence artificielle occupent une place centrale.
Devenir un constructeur qui roule à l'IA
D’ailleurs, le groupe automobile compte déjà de nombreux projets en production, que ce soit au service de la logistique (lire : “GenAI et ML : les secrets de Renault pour sécuriser sa supply chain”) ou de la production (lire : “Comment Renault a posé les fondations Data d’un métavers industriel”).
Frédéric Vincent, président de Renault Digital et Chief Digital & Information Officer de Renault Group, était d’ailleurs présent lors du Google Cloud Summit 2025 pour souligner l’importance de l’IA pour l’entreprise.
“L’intelligence artificielle est un sujet critique pour nous”, déclare-t-il. Et à l’image d’un Sanofi dans le pharmaceutique, le groupe a pour ambition de devenir “le premier fabricant de voitures qui marche à l’intelligence artificielle.”
Au terme d’IA, le CDO & DSI préfère néanmoins l'appellation d’intelligence augmentée. Une façon pour lui de préciser une trajectoire : non pas remplacer des personnes, “mais les sublimer.” Les suppressions d’emplois dans l’automobile ne disparaîtront pas cependant.
Leur déclencheur est sans doute d’abord imputable aux fluctuations de la demande mondiale plus qu’à l’IA ou l’intelligence augmentée elle-même. Pour ses développements en IA, Renault s’appuie sur la donnée, ou plutôt la modélisation de l’entreprise sous forme d’un jumeau numérique.
Un jumeau numérique comme fondation pour l'IA
Ce jumeau permet de visualiser et piloter un environnement complexe comme celui d’un constructeur avec des dizaines de milliers de fournisseurs, des centaines de milliers de pièces et des millions de véhicules produits chaque année.
“Cette complexité, nous avons décidé de la numériser pour pouvoir la travailler de façon plus simple”, explique le patron de Renault Digital. En développement depuis quelques années déjà, ce jumeau est aujourd’hui “assez complet” et temps réel.
Le digital twin de Renault intègre notamment les processus industriels des usines et des avatars des modèles fabriqués. Pour le concevoir, Renault n’avance pas seul cependant. Il tire, entre autres, profit de partenariats, dans la conception et le cloud en particulier.
Sur le cloud, Renault, à la différence de Stellantis, signait avec Google Cloud en 2020. Résultat après environ 5 ans : près de 50% des applications du constructeur sont hébergées dans le cloud public de l’Américain. D’ici 1,5 année, cette part sera portée à 100%.
Renault s’oriente vers du full cloud pour les applications, mais aussi vers du Cloud Data Centric. “Un cloud pour porter les applications, mais un cloud aussi pour porter les données, que nous allons consolider de façon cohérente pour les rendre disponibles pour l’ensemble des activités du groupe.”
Du cloud pour 100% des applications et la Data
Jumeau numérique, cloud pour les apps et la Data, ainsi enfin qu’une “troisième couche au-dessus”. Cette couche se compose des algorithmes d’IA. “Une fois qu’on a les données dans le cloud de Google, c’est plus simple d’utiliser Gemini, entre autres, pour développer toute l’IA dont on a besoin”, explique Frédéric Vincent.
Sous l’angle de la dépendance technologique, le débat est ouvert en revanche. Mais les bénéfices pourraient justifier ces risques. Les gains sont de différentes natures, indique le Chief Digital Officer du groupe Renault.
Avec le Deep Learning et le Machine Learning, l’industriel estime réaliser des économies, au travers notamment de l’optimisation du transport des pièces, le remplissage des camions et les itinéraires suivis. “Nous évitons environ 8000 transports de camions par an.”
L’IA a aussi été exploitée pour optimiser la consommation d’énergie des usines (-30%), par exemple au niveau des ateliers de peintures, très consommateurs. Avec la Computer Vision et donc l’analyse d’images tout au long du cycle de fabrication, Renault réalise des contrôles qualité.
“Tout cela génère beaucoup d’économies, en euros, mais aussi en émissions de CO2”, se félicite Frédéric Vincent. Depuis 2023, Renault complète sa panoplie d’IA en production par des systèmes “plus sophistiqués” basés sur l’IA générative.
Les techniciens en usine sont équipés d’agents pour le diagnostic “plus rapide et plus précis” en cas de panne. Les ingénieurs en charge de la conception des modèles ont eux aussi leur agent destiné à optimiser la conception des pièces et identifier les pièces existantes les plus adaptées afin de “limiter la diversité” des composants.
L'IA générative et les agents spécialisés pour l'étape d'après
Depuis 2023, Renault estime avoir généré 400 millions d’euros d’économies, mais également amélioré son time-to-market. La nouvelle Twingo a ainsi été développée en deux ans, contre quatre ans en moyenne pour des modèles antérieurs.
Sur la base de ces bénéfices, Renault entend désormais poursuivre son déploiement de l’IA dans ses processus. Cette ambition se met en œuvre dans le cadre du programme AI At Scale, engagé deux ans plus tôt.
Le fabricant initie en outre un nouveau chapitre de sa transformation par l’IA. Au cœur de cette étape : les agents spécialisés, dont Renault prévoit d’équiper toutes les fonctions de l’entreprise. Contrôleurs de gestion, recruteurs… tous les collaborateurs auront leurs agents spécialisés pour “optimiser leur travail.”
“Nous attendons de grands gains de productivité de cette fonction”, annonce Frédéric Vincent. Renault n’est cependant pas uniquement consommateur d’IA pour son activité. La Renaulution passe aussi par l’intégration de plus de technologies dans les véhicules.
La R5 du constructeur s’accompagne par exemple d’un avatar, Reno, un assistant pour les automobilistes dans l’utilisation de la voiture. “Nous allons continuer à lui rajouter de nouvelles fonctionnalités et à le déployer sur de nouvelles voitures. Tout cela, c’est le programme Augmented Renault que nous mettons en place”, conclut-il.
Chez Valeo, l’IA c’est “de la cave au grenier” ou jusqu’au bout des pneus
L’intelligence artificielle, l’équipementier automobile Valeo l’embarque dans ses produits pour les constructeurs, mais aussi de plus en plus dans ses processus, en particulier en R&D. Son CEO, Christophe Périllat, précise la stratégie IA et GenAI de Valeo.
Équipementier automobile, Valeo est également un client Google de très longue date. Pour rappel, sa migration pour ses 30.000 salariés sur les services bureautiques et collaboratifs du Californien remonte à 2009. L’entreprise est aussi consommatrice de services d’IA générative de Google Cloud depuis 2024.
Client fidèle de l’Américain, Valeo prenait aussi la parole lors de la matinée de plénière du Google Cloud Summit à Paris. L’équipementier n’a cependant pas attendu l’hyperscaler pour s’intéresser à l’intelligence artificielle.
L'IA pour surmonter la limitation des technologies historiques
Pendant longtemps, les développements concernaient d’abord la R&D. “Mais maintenant, vous voulez faire de l’IA de la cave au grenier”, résume un cadre de Google. Pour coller à l’industrie automobile, il conviendrait peut-être plus de parler d’IA du coffre jusqu’au pare choc avant.
Les débuts de l’IA chez Valeo et dans ses produits, son PDG Christophe Périllat les fait remonter à 20 ans. “Nous avons commencé à en mettre en raison de la limitation des technologies historiques”, justifie le dirigeant.
C’est particulièrement vrai dans un des métiers de l’industriel, à savoir l’aide à la conduite. Les technologies accompagnent la transition vers “le Graal” de la voiture autonome. L’assistance au stationnement, le freinage d’urgence, l’évitement d’obstacle, la supervision de l’attention du conducteur sont autant de solutions conçues grâce à l’IA par Valeo, rappelle Christophe Périllat.
Pour intégrer de l’intelligence à ses capteurs et radars et développer le véhicule “assisté”, l’industriel peut mobiliser 9000 développeurs logiciels. “La route a été longue depuis 20 ans”, mais malgré tout la voiture autonome ne s’est pas généralisée.
“La voiture autonome a été très longtemps promise et elle n’a jamais été délivrée”, reconnaît le CEO. De tels véhicules circulent certes dans certains États américains et en Chine, “mais pas dans les rues de Paris.”
L'IA accélérateur vers une voiture de plus en plus assistée
“Ce n’est pas la voiture de tout le monde aujourd’hui. Nous pensons cependant que l’intelligence artificielle est capable d’accélérer considérablement la trajectoire pour nous amener à une voiture de plus en plus assistée.”
Pour permettre plus d’autonomie, les industriels de l’auto doivent collecter et analyser un périmètre étendu de données pour couvrir l’environnement du véhicule. “Sur chaque objet, comme un piéton, il faut définir son intention.” L’IA s’impose pour y parvenir.
Elle s’impose aussi dans le cœur du développement des produits de Valeo. L’équipementier dispose de pétaoctets de données, “des enregistrements, annotés, joués et rejoués sur chaque version logicielle.” Désormais, ces données réelles peuvent être “multipliées” grâce à l’IA.
Comment ? Grâce à la génération de données synthétiques, par exemple pour ajouter de la neige, des piétons, un ballon, etc. “On vient multiplier quasiment à l’infini” les données disponibles pour l’apprentissage.
Comme Renault, tout en étant historiquement un industriel, Valeo se définit en tant qu’acteur de la tech. “L’avenir de l’automobile est technologique”, explique Christophe Périllat. L’équipementier consacre ainsi 12% de son CA annuel en R&D.
Valeo un industriel ? Non, un boîte de Tech
“Ce n’est pas du tout caractéristique d’une société industrielle, qui typiquement dépense 3 à 5% de ses ventes.” Et ce n’est pas par amour de la technologie pour elle-même, mais car celle-ci s’impose comme un impératif dans le secteur.
La maîtrise technologique, dont l’IA, constitue en outre un avantage compétitif, rappelle le patron de Valeo. “Nous sommes convaincus que l’IA va nous aider à considérablement améliorer nos processus de R&D (...) Nous avons plus d’idées et nous voulons les concrétiser sans mettre beaucoup plus d’argent sur la table.”
Plus de technologie, plus d’innovation avec moins, c’est la “piste” poursuivie par l’entreprise grâce au déploiement de l’IA dans ses process, “principalement en R&D”. Parmi les applications : le codage automatique des exigences des clients pour les pièces et l’écriture des tests de validation.
L’automatisation par l’IA générative trouve aussi des usages dans la conception mécanique afin de limiter les allers-retours entre départements. “Il est certainement possible de concevoir une pièce mécanique tout en simulant et en explorant toutes les configurations possibles.”
“C’est à notre portée. C’est pour demain matin (...) Nous voulons faire de l’intelligence artificielle dans notre entreprise un avantage compétitif”, conclut Christophe Périllat.