Comment Renault a posé les fondations Data d’un métavers industriel
Une usine automobile, au départ, c’est une tour de Babel industrielle aux multiples sources de données. A partir de 2017, Renault Group s’attaque à la standardisation de ses sites de production.
Une usine regroupe de nombreux équipements, des “objets”. Chacun, qu’il s’agisse de visseuses, de robots, de camions et même d’emballages, génère des données, partagées grâce à une interface. Mais à chaque objet son propre langage - et même son nom - qui change selon les interfaces.
Pour Renault, il conviendrait de parler de “tour de Babel industrielle”. Depuis 2016, le groupe automobile développe une plateforme regroupant l’ensemble des objets autour d’un même standard “afin de leur permettre de communiquer en toute transparence.”
6000 hectares couverts en réseaux
Mais pour parvenir à bâtir cet écosystème interconnecté, plusieurs étapes ont dû être menées, à commencer par le déploiement d’une infrastructure télécoms. De 2017 à 2019, 6000 hectares d’ateliers ont ainsi été dotés des réseaux nécessaires.
Chaque objet a été modélisé, identifié et connecté, mais aussi doublé d’un “avatar numérique”, les bases “d’un métavers industriel” ou “double numérique de l’ensemble des usines et de la supply chain” du groupe.
Eric Marchiol, VP Metaverse Industry & Quality de Renault Group, rappelle que la transition d’une tour de Babel industrielle à un métavers industriel, soit une “transformation numérique en profondeur”, prend du temps.
“C’est un voyage sur lequel nous nous sommes engagés dès 2016 pour les premières étapes”, déclare-t-il à l'occasion de l’IMAgine Day Jumeaux Numériques organisé par l’Innovation Makers Alliance (IMA). Ce voyage s’est effectué en quatre étapes principales.
La première a donc consisté à déployer infrastructure et services de données, un premier chantier d’ampleur. Couvrir en Wi-Fi 40 usines nécessite des investissements conséquents. “Une usine comme Flins, c’est 60 hectares de bâtiments. Mettre du Wi-Fi accessible partout avec un débit suffisant a été un vrai challenge.”
Un quick win en collectant la donnée et en la restituant
Au démarrage, Renault a choisi de ne pas capter de nouvelles données. Des applications digitales “greffées aux systèmes existants” ont été créées pour collecter les données générées et “donner de la mobilité à nos opérateurs, nos techniciens de fabrication ou nos chefs d’équipe”. La connexion du legacy représentait un “quick win” avec “des gains opérationnels assez rapidement.”
L’étape suivante, intervenue en 2019, c’était celle du “jumeau numérique un peu traditionnel” ou “statique”, c’est-à-dire la numérisation des processus, la mise en œuvre “des scans des usines” et la conception de modèles de données des lignes. Toutefois, une ambition restait à atteindre : “traiter le problème de boîte-noire de nos équipements” pour répondre à la problématique “de la diversité monstrueuse d'équipements” et de protocoles.
Les solutions du marché fonctionnaient en silos. Renault a donc décidé de mettre sur pied une équipe interne en collaboration avec la DSI Industrie dirigée par François Lavernos. L’objectif : développer un connecteur unique pour la récupération des données. Ce connecteur a été finalisé en 2019 et déployé à l’échelle.
Grâce à ces développements, Renault est donc en capacité de collecter les données “au plus bas niveau des machines, là où se situent les nouvelles données”, explique Eric Marchiol. En 2020, pouvaient ainsi démarrer les premières étapes d’utilisation massive de la donnée.
Depuis maintenant deux ans, le constructeur est engagé dans une phase visant à utiliser les données à l’échelle. Les données de la supply chain se sont également ajoutées à ce patrimoine pour constituer “un écosystème Data extrêmement riche.”
Des gains “massifs” grâce à l’exploitation des données
L’exploitation de cet actif s’est traduite par “des gains massifs”, sur la consommation d’énergie et les contrôles qualité notamment. Cependant, un “point péchait” encore : les systèmes opérationnels “restaient anciens.”
Or, pour prétendre à un véritable métavers industriel, la visualisation des données était insuffisante. Pour le VP Metaverse Industry, le jumeau numérique doit permettre une animation dynamique et en temps réel des opérations.
Ainsi, les données doivent être utilisables “dans nos MES, dans nos WMS, et dans nos systèmes d’optimisation et de suivi de la qualité. C’est cette notion de jumeau numérique dynamique et temps réel qui nous apporte une vision complètement conforme de tout ce qui se passe sur le terrain opérationnel, dans nos usines, et au-delà des murs de nos usines”, insiste-t-il.
Un fonctionnement poussé et à l’échelle, c’est la quête poursuivie par Renault sur le métavers industriel. La 3D, comme sur les métavers grand-public, est certes au rendez-vous, mais elle ne constitue pas “le coeur du réacteur.”
La valeur est ailleurs : “savoir exactement ce qui se passe sur une usine de 60 hectares, en temps réel, c’est déjà une valeur colossale.” Grâce aux chantiers menés depuis 2016, Renault se juge ainsi en avance sur ses principaux concurrents dans ce secteur.
La secret sauce du metavers industriel : 4 ingrédients
L’industriel estime cocher quatre dimensions essentielles. La première, la connexion des équipements et procédés (plus de 12.000 objets connectés) combinée à des modèles de données standardisés (“au plus bas niveau”). Rejetés les traitements ultérieurs par des algorithmes, rendus rapidement obsolètes suite à des modifications en usine.
“Si vous ne voulez pas mettre de Data Analyst derrière chaque robot ou chaque installation complexe, vous êtes obligé, de notre point de vue, de passer par cette standardisation”, défend Eric Marchiol, qui précise que 3 milliards de datasets par jour sont ainsi collectés.
La deuxième dimension revendiquée : le Digital Twin “plus classique”, réalisé en partenariat avec des acteurs comme Dassault Systèmes et Siemens. Mais pour prétendre au statut de métaverse industriel, il importe de disposer d’une vue hors des murs de l’usine, et donc de “l’écosystème étendu”.
Pour se doter d’une visibilité accrue, Renault a donc numérisé l’ensemble de sa supply chain. L’ensemble des camions approvisionnant les usines en Europe sont équipés de capteurs, mais aussi les véhicules circulant au sein de l’usine.
Les informations logistiques sont fusionnées dans le cloud de Renault hébergé par GCP. Et l’écosystème s’enrichit progressivement de nouvelles données, dont celles liées à la qualité via “l'intégration du feedback temps réel” des clients. L’étape n’est pas encore aboutie du fait de l’intermédiation des concessionnaires.
Un assemblage de technologies, dont l’IA et GenAI
Quatrième et dernière dimension : la technologie. Et celle-ci est particulièrement centrée autour de la donnée. “Toute la valeur provient de la donnée”, justifie le DSI de Renault, François Lavernos. Dans ce domaine, le fabricant a choisi de ne pas s’adosser à un grand éditeur (GCP intervient sur le compute et le storage) pour des raisons de flexibilité. Il est ainsi un grand consommateur d’open source.
Pour valoriser la donnée, l’industriel n’a pas attendu jumeaux numériques et métavers industriel. “Très tôt, nous avons eu la conviction qu’il fallait tirer de la valeur de cette donnée”. Et pour François Lavernos, cela signifiait d’en démocratiser l’accès et les usages.
Renault dispose à cette fin d’une plateforme unique, commune à l’ensemble des activités industrielles et fonctionnant en self-service. En raison de la complexité associée, du fait notamment de la diversité des données, le fabricant a ajouté de l'intelligence artificielle (ML).
“Nous sommes venus poser au-dessus de ces couches Data, des frameworks qui ont permis à des équipes, essentiellement métiers, de développer des algorithmes, afin par exemple de faire de la maintenance prédictive (...) Plus récemment, l’arrivée de la GenAI nous a fait repenser un certain nombre de trajectoires d’optimisation de nos process”, détaille le DSI.
En parallèle, compte tenu de l’augmentation de son empreinte digitale, Renault a pris un nouveau virage sur la cybersécurité et le traitement “by design” des problématiques de sécurité informatique. Sur le volet stockage, Renault a signé un contrat avec Google pour gérer les données via des services managés.
Le “premier driver” : la valeur
Pour des besoins liés au temps réel, le constructeur dispose aussi de capacités de calcul et de stockage locales et de technologies de Edge Computing. Sur l’immersivité, domaine dans lequel Renault développe des cas d’usage, notamment autour de la simulation et de la formation, l’industriel “est allé chercher ce qui se fait de mieux dans le gaming” et développe des solutions en collaboration avec des startups.
Le temps réel, essentiel à la réactivité requise pour le fonctionnement d’une usine, a aussi été un sujet technologique pour le groupe. Pour la captation des données, ainsi que leur contextualisation, Renault a travaillé à “APIfier ses legacy”, dont certains ont plus de 15 ans.
Dernier sujet, “peut-être le plus important lorsqu’on parle de métavers industriel” : la modélisation des équipements et opérateurs, mais aussi de leurs interactions. Captation, modélisation du jumeau, animation en temps réel, exécution de simulations… Renault a mis en place une plateforme spécifique, là aussi en association avec des startups et Google.
Le métavers Renault, ce n’est donc pas “une technologie, un intégrateur ou un backbone. C’est le fruit de l’intégration d’un ensemble de technologies.” Les composants du jumeau numérique ne sont pas figés. L’industriel s’efforce toujours “de capter ce qu’il y a de mieux pour délivrer la valeur d’un point de vue technologies.”
Le “premier driver” reste bien la valeur. “Le leitmotiv en permanence pour nous, c’est la productivité et la compétitivité”, insiste François Lavernos. La trajectoire a ainsi été définie en fonction de cette exigence de valeur. “Chaque euro investi, chaque technologie, devait générer un certain montant d’économies”
Des gains significatifs sur la productivité et la compétitivité
Grâce à la mise en œuvre et à l’animation des 4 dimensions citées précédemment, Renault estime donc être passé d’un jumeau numérique statique ou d’une seule transformation Data à un métavers industriel, avec à la clé “des gains complémentaires.”
Parmi ces bénéfices, une réduction des coûts de production de près de 400 millions d’euros. Le Digital Twin sur la supply chain a permis quant à lui une réduction de stocks pour un montant de 260 millions d’euros.
“Savoir où sont les pièces, c’est déjà un levier d’économies majeur. Nous ajoutons à présent des couches d’IA et d’optimisation qui vont nous permettre des réductions de coûts supplémentaires”, annonce Eric Marchiol. Et le dirigeant de faire aussi état d’une réduction de 50% des émissions de C02. “Beaucoup d’optimisations” restent en outre possibles dans ce secteur et sur la baisse de la consommation d’énergie.
Sur la livraison des véhicules, le constructeur revendique aussi des gains, tout comme sur la vitesse de montée en cadence des machines. Grâce à de la “donnée contextualisée et propre”, Renault estime en outre avoir pu intégrer de nouvelles technologies automobiles plus rapidement et tout en réduisant drastiquement les défauts et incidents qualité.
“Nous sommes dans le top trois européen et nous voulons encore diviser par trois le nombre d’incidents qualité sur nos voitures”, déclare le VP Metaverse. L’industriel poursuit donc ses développements, au travers notamment du déploiement de “Control Tour” au niveau groupe, des usines ou des ateliers. Ces tours opèrent des supervisions en exploitant, en moyenne, une soixantaine d’outils digitaux.
Une plateforme de self-service AI en production
Renault monte aussi en puissance sur l’IA. Ses usines exploitent à ce jour 300 systèmes d’IA. L’entreprise prévoit de multiplier par 10 ces systèmes opérationnels. Après avoir mis en place du Big Data self-service, le constructeur dispose depuis octobre 2023 d’une plateforme en production de “self-service AI”.
Basée sur la même plateforme que celle de captation des données, elle accède à l’ensemble des données. Le self-service AI embarque un système de monitoring et “toutes les étapes de création d’un modèle de détection des défauts ou d’alerting”. Il permet l'entraînement de modèles, hébergés en edge ou sur le cloud, selon les besoins.
“Cette transformation, nous l’avons faite sur la Data, et nous la menons à présent sur l’IA grâce à notre plateforme de self-service AI, qui intègre nativement du monitoring”, déclare Eric Marchiol. François Lavernos ajoute que le métavers constitue une trajectoire, avec ses jalons imposés.
“Il y a 6 ans, notre intuition était que tout passerait par la Data.” Pour concrétiser cette ambition et traiter de premiers cas d’usage, Renault devait donc d’abord connecter ses infrastructures et les modéliser. La Data a ainsi d’abord été destinée à des usages analytics et de visualisation.
“Il y a six ans, ni Eric ni moi ne s’est projeté sur un métavers industriel (...) La trajectoire a essentiellement été guidée par des enjeux de productivité et de compétitivité”, reconnaît le DSI. Pour financer ces développements et “l’ensemble de la transformation”, l’entreprise a attribué “une enveloppe globale”, mais en contrepartie d’un “reporting mensuel sur nos savings.”
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