Démocratiser l’IA générative en banque & assurance réclame de la méthode
Les Comex sont emballés, les cas d’usage sont nombreux, mais la démocratisation auprès des métiers n’est pas pour autant une évidence. Témoignages de SG, AG2R La Mondiale, Crédit Agricole et RGA.
Hanan Ouazan, Generative AI Lead pour Artefact, le constate. Lorsqu’il s’agit d’IA générative, peu de grands groupes manquent aujourd’hui à l’appel. Nombre d’entre eux ont lancé de premières initiatives, qui toutefois peuvent se limiter au déploiement d’un Secure GPT. Du côté des TPE et PME, l’adoption est en revanche plus lente à se matérialiser.
Depuis un peu plus d’un an, les PoC se sont multipliés dans les organisations, ajoute l’expert. Accéder à la phase d’industrialisation demeure cependant complexe. En ce qui concerne l'embedded AI, comme les Copilot Microsoft, les entreprises se cherchent aussi, en particulier sur la difficile question de la mesure du ROI.
L’OVNI ChatGPT à traduire en applications pratiques
Banquiers et assureurs n’échappent pas à la tendance, eux qui sont parmi les plus actifs dans le domaine de l’IA générative, comme les secteurs du retail, du luxe et de l’industrie, observe Hanan Ouazan. De l’expérimentation au déploiement en production, voire simplement à la véritable démocratisation, le chemin est long.
Et mieux vaut progresser avec méthode, comme en témoignaient plusieurs représentants du secteur lors du forum CAP IT. Le réassureur RGA (Reinsurance Group of America) a démarré dans l’IA en 2018 grâce à une équipe de 20 Data Scientists, en charge de l’achat de données et du développement de modèles. Fin 2022, l’entreprise s’engageait sur la tendance IAGen suite au lancement de “l’ovni ChatGPT”.
Pour cela, RGA a mis sur pied une cellule dédiée afin d’explorer le fonctionnement de différents modèles et définir des cas d’usage “pour des applications très pratiques”, dont l’analyse de document, témoigne Eric Gaubert, Directeur Adjoint, innovation et partenariat. A la clé : des gains de temps conséquents, notamment sur l’analyse de traités.
Le groupe Crédit Agricole, “uni et décentralisé”, a lui aussi constitué un groupe de travail réunissant une trentaine d’experts. Les finalités : décrypter cette nouvelle technologie, mais aussi identifier potentiel et risques, et définir des règles ”pour structurer et guider l’action tout en laissant l’énergie et l’innovation décentralisée se mettre en place”, explique Aldrick Zappellini, Chief Data Officer Groupe.
Faciliter l’expérimentation de tous, mais analyser rigoureusement
Le résultat, c’est une “stratégie d’adoption maîtrisée de l’IA générative” reposant sur différents piliers, dont l’acculturation, la protection des données et un cadre d’expérimentation prévoyant la sécurisation et l’analyse des résultats et de la valeur.
“L’enseignement tiré de l’expérimentation est fondamental. Il nous permet aussi d’étayer les études un peu plus long terme menées sur les impacts et les choix”, note le directeur du DataLab groupe du Crédit Agricole.
Les acteurs du secteur banque & assurance partagent une forte proximité en matière de cas d’usage, dont le traitement de documents (justificatifs, contrats, etc.). L’IA générative peut ainsi être utilisée “pour les analyser, les résumer, concevoir des systèmes de question/réponse contextualisés.”
Sur les près de 80 cas d’usage recensés dans le groupe, environ les deux tiers concernent la gestion des corpus documentaires. Les autres axes explorés portent, entre autres, sur la génération de contenu pour le marketing (sur la base de données clients et produits) et la gestion des emails (suggestion de réponse).
LCL, filiale du Crédit Agricole, a mis en production son assistant pour ce besoin fin mars 2024 auprès de 12.000 conseillers. Les expérimentations ont permis à ce jour d’identifier les applications les plus adaptées à l’IAGen. Aldrick Zappellini tient à rappeler que non, cette technologie n’est pas adaptée à toutes les catégories de cas d’usage.
La génération de contenus pour les métiers du marketing et des RH (questionnaires d’évaluation des compétences par exemple) délivre des résultats satisfaisants. En revanche, plus l’expertise ou la connaissance métier attendue est élevée et plus la complexité s’accroît - et plus les performances se dégradent.
L’IA générative n’est pas la réponse à tout
“Il y a un véritable enjeu à ne pas être aspiré par ce qui brille dans ces technologies”, prévient le CDO. A chaque tâche correspond un bon mix technologique à définir. IA ou IAGen n’est pas systématiquement la réponse la plus pertinente.
Les expérimentations peuvent aussi mettre en lumière des faiblesses des processus et la nécessité de les améliorer avant de chercher à les automatiser.
Société Générale a suivi un parcours assez comparable à celui du Crédit Agricole - et à d’autres acteurs du marché. 2023 a ainsi été une année “de découverte” dont la première phase a été celle de “la sensibilisation, de la pédagogie et de l‘acculturation”, déclare Sébastien Brasseur, Distinguished Engineer Data.
Par une approche “ludique”, la banque s’est efforcée d’acculturer un maximum de collaborateurs aux principes de l’IA générative et de préciser ses différences avec l’IA traditionnelle et prédictive. Cette première phase avait pour objectif d’enclencher la seconde visant à “susciter curiosité et intérêt” des métiers, mais aussi à faire émerger des besoins.
La réaction première des salariés a été de réagir au blocage de ChatGPT. Cette décision a été justifiée en interne. Pour répondre à cette attente exprimée, Société Générale a déployé un Secure GPT “conforme à l’ensemble des réglementations bancaires.” L’acculturation des collaborateurs a en outre permis de recenser de nombreux cas d’usage internes, entre 80 et 100, aux niveaux de maturité très hétérogènes.
Sébastien Brasseur les répartit en quatre catégories principales : traitement de documents (pour optimiser la productivité et le confort de travail), création de contenus (emails, marketing, drafts de documents), développement assisté et chatbots (internes et externes).
Jamais sans le RSSI, le DPO, les RH et la communication
Chez AG2R La Mondiale, la démarche est une nouvelle fois similaire avec une volonté d’expérimenter le plus possible et la création d’une cellule dédiée et pluridisciplinaire mi-2023. Au cœur de la stratégie, plusieurs piliers : tester (dans une optique valeur métier et pour identifier des briques mutualisables) et implication du RSSI et du DPO en amont et dans chacun des projets “pour préparer l’industrialisation”.
Communication et RH sont aussi parties prenantes. Avec ses grands partenaires technologiques, l’assureur a aussi effectué une première sélection sur les plateformes et les modèles, avec pour volonté “d’être agnostique sur les modèles qui seront consommés demain chez AG2R La Mondiale”, précise Ludovic Letort, Directeur Data et IA.
Parmi les usages, l’assureur s’intéresse notamment au thème du développeur augmenté. En 2023, un groupe d’une cinquantaine de développeurs ont été équipés d’outils d’IAGen - pour la rétro documentation et la génération de code. Cette expérimentation a été jugée concluante et s’est traduite depuis par un passage à l’échelle.
AG2R La Mondiale, à l’image par exemple d’un Cdiscount dans le retail, s’est aussi intéressé à l’amélioration de cas d’usage traités jusqu’alors avec le Machine Learning avec des résultats nettement perfectibles. Avec un modèle comme Bert, l’entreprise procédait à de l’analyse de verbatims clients. Les performances et coûts entre NLP et IAGen ont été comparés.
Résultat : des gains de performances “très positifs” avec un taux de précision qui est passé de 75% à environ 95% sur des enquêtes de satisfaction client, se félicite Ludovic Letort. Après le texte, le département relation client se prépare à présent à étendre l’usage de l’IA générative aux données vocales.
Chatbots clients en pause et impacts de l’IA à penser sur le long terme
En revanche, sur les chabots orientés clients, AG2R La Mondiale a fait le choix de la “marche arrière”. Et l’assureur n’est pas le seul à avoir pris cette décision. Sébastien Brasseur déclare que Société Générale a décidé de déprioriser cette application de l’IA générative. Autre point commun entre CA, SG, RGA et AG2R : l’objectif d’industrialiser en 2024, notamment au travers d’une plateforme industrielle pour le déploiement de l’IA Générative.
Ces entreprises mènent donc en outre des projets dans le domaine du développement augmenté. AG2R est d’ores et déjà passé à l’échelle après une phase de test à l’été 2023. L’initiative a été positivement accueillie par les développeurs avec des gains en productivité, mais pas seulement. Ludovic Letort souligne aussi les bénéfices en termes de bien-être et d’attractivité.
“Certains nous ont clairement dit qu’il fallait déployer à l’échelle sinon ils iraient travailler ailleurs”, rapporte même le directeur Data & IA. Pour Sébastien Brasseur, les outils d’IA générative s’imposent rapidement comme des incontournables pour les salariés.
“Nous avons un ChatGPT like en interne. Au moindre souci de production, nous sommes pressés de demandes pour qu’il soit rétabli le plus rapidement possible”, illustre-t-il.
Ces solutions deviennent un enjeu de marque employeur, considère l’ingénieur de Société Générale, en particulier pour les développeurs et les utilisateurs de chatbots internes. A l’avenir, l’attractivité d’une entreprise pourrait donc dépendre de la fourniture de ces technologies, au moins pour une partie des salariés.
Crédit Agricole mène des tests qualitatifs et quantitatifs en matière de développement assisté. Aldrick Zappellini attire l’attention sur la composition des équipes pilotes, sur le développement comme sur le collaboratif (Copilot pour Microsoft 365). Au risque sinon que le bilan de l’adoption à l’échelle ne reflète pas les résultats des expérimentations.
Le CDO juge aussi nécessaire de mener une réflexion à long terme sur les impacts des usages de l’IAGen sur les métiers et les pratiques. “La diffusion d’outils doit forcément s’accompagner d'une mise à jour de notre cadre de développement et des bonnes pratiques associées. L’évaluation doit s’imaginer dans une logique de long terme.”
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