Data et Innovation dans le Rugby : pour l’amour du sport
Le rugby professionnel intègre nombre d'innovations technologiques, notamment en matière d’exploitation de la Data et de l’IA. Mais ce sport se veut toujours un métier d’artisans.
"Les métiers qui associeront la tête, le cœur et la main ne pourront pas disparaître", remplacés par des IA génératives. C’est l’analyse avancée par Luc Ferry, conférencier et ancien ministre de l’éducation nationale.
Cette définition pourrait parfaitement s’appliquer au rugby et à ses sportifs de haut niveau. Des matchs virtuels joués par des IA, ce n’est pas pour demain. Intégrer plus d’intelligence artificielle et de technologie en général en périphérie du gazon et même sur celui-ci, c’est cependant une tendance bien engagée.
La Data au service de l’optimisation de la performance sportive
L’équipe de France de Rugby et sa fédération, la FFR, peuvent en témoigner. “La technologie et la Data sont devenu un élément central pour l’optimisation de la performance de l’équipe”, déclare Julien Piscione. Et l’expert en connaît un rayon dans le domaine de la performance en tant que Head of Sport Science and Performance Support à la Fédération Française de Rugby.
Ces usages technologiques peuvent même se traduire par un “avantage concurrentiel” pour les équipes nationales (XV masculin et féminin, rugby à 7, et équipes jeunes).
“Cela ne nous a pas permis de gagner la Coupe du Monde, mais les statistiques ont montré qu’on aurait dû gagner le match [Ndlr : perdu 28-29 en quart de finale face à l’Afrique du Sud].”
Les chiffres n’ont pas réponse à tout. Pas dans le sport où les aléas ne sont pas quantité négligeable. “Former un joueur de haut niveau, ce n’est pas changer de génération d’iPhone”, rappelle Julien Piscione. Pour faire émerger des champions, “nous devons mettre en place une stratégie innovante”. Et l’innovation n’est pas seulement technologique.
La technologie est bien présente néanmoins, par exemple pour entraîner la mêlée depuis plusieurs années via une solution co-conçue avec Thales et permettant de mesurer les impacts en temps réel. Elle est au service de la performance, un sujet qui constitue la mission d’un département dédié au sein de la FFR.
La Nasa du Rugby ? Non un équipementier pour artisans
Le département réunit différents profils, met en œuvre des programmes de R&D pour se doter d’avantages concurrentiels, orchestre une démarche de diffusion scientifique (auprès des clubs) et pilote un labo, le centre national de rugby de Marcoussis.
Pour réaliser ses missions, le département se compose de 4 pôles principaux, dont un consacré à l’analyse de performances. La Data y tient naturellement une place prépondérante. D’ailleurs la Fédération s’est dotée une unité dédiée à l’exploitation de la donnée. Perçu comme la Nasa du rugby, Julien Piscione préfère une autre analogie pour décrire son service.
“Ce serait trop simple de faire décoller des fusées”, s’amuse-t-il. “Lorsque la météo n’est pas favorable, elles ne décollent pas. La pluie n’empêche en revanche pas un match (...) Chaque performance sportive est différente (...) Il faut l’avoir en tête lorsqu’on va utiliser la Data et la technologie.”
Un match se rapprocherait ainsi plus d’une “œuvre d’art” et les entraîneurs “d’artisans de la performance.” D’ailleurs, les managers du sport de haut niveau vont jusqu’à “construire leurs propres méthodes et outils d'entraînement. En termes de technologies, nous devons donc fournir des choses faites à la main de nos entraîneurs.”
En conséquence, à l'appellation d’industrie du sport, l’expert de la fédération lui préfère celle “d’artisanat du sport”. Mais les compétences et outils de l’artisan d’aujourd’hui ont considérablement évolué. Lors de la dernière Coupe du Monde, l’équipe nationale avait accès à des fournisseurs de statistiques (sur tous les matchs joués), des objets connectés (récupérant des millions de données à chaque entraînement) comme des capteurs et désormais aussi des ballons connectés.
Fabien Galthié, un artisan bien entouré et pourvu d’outils sur-mesure
Fabien Galthié, le sélectionneur du XV français (“artisan et même artiste”), est entouré d’un staff d’une trentaine de personnes, dont des docteurs, mais aussi des ingénieurs et des chercheurs, ainsi que d’un Data Scientist. Et ces artisans du sport fournissent donc à l’équipe “du sur-mesure, de la haute-couture.”
Au quotidien, le sélectionneur et ses adjoints disposent de tableaux de bord réalisés par le Data Scientist de l’équipe. “Il travaille sur toutes les sources de données accessibles (...) pour produire des analyses, en premier lieu sur l’adversaire.” Pour étendre ses compétences dans ce domaine, la FFR s’est associée à l’éditeur SAS. Ce partenariat a permis de développer des applications Data spécifiques.
La préparation des matchs constitue un axe de travail essentiel, explique Julien Piscione. Car le temps est compté pour se préparer au mieux avant la rencontre.
“Nous rentrons dans les détails de ce qui est fait en temps réel sur le terrain pour nous aligner sur les objectifs des séances (...) Chaque minute passée sur le terrain doit être la plus efficace possible.”
Le GPS participe à cette quête d’efficacité et permet de guider les entraînements. Déboulent aussi à présent des protège-dents instrumentés, “une vraie révolution technologique.” Sur le plan sportif, la révolution est à confirmer encore. L’équipement embarque des accéléromètres pour mesurer les accélérations de la tête et ainsi détecter les commotions.
Pour passer un nouveau cap en termes d’optimisation de la performance, la FFR s’intéresse à d’autres innovations, parmi lesquelles la Computer Vision, très attendue pour l’analyse automatique des matchs. L’automatisation doit libérer du temps au profit de l'interprétation des données et au travail sur les stratégies de match.
Trier outils innovants impactant la performance et gadgets
Le particularisme du rugby, comme les regroupements (les rucks), rend aujourd’hui complexe le recours à la vision par ordinateur. “Nous y croyons beaucoup et nous y travaillons avec le CEA. Nous avons développé quelques briques”, confie Julien Piscione. Et les résultats sont jugés suffisamment encourageants pour permettre d’imaginer à terme un usage efficace de la Computer Vision.
A noter que les recherches autour de la Computer Vision ont été initiées non pour répondre à une problématique stratégique, mais à des enjeux émotionnels et psychologiques. “L’idée était que grâce à la vidéo on puisse repérer du langage corporel” traduisant un état émotionnel. Ce langage corporel, c’est par exemple des mains derrière la tête ou sur les genoux, des joueurs dispersés, etc.
“Tous ces comportements, nous avons commencé à les analyser grâce à l’intelligence artificielle et à la vidéo.” Et la computer vision permet aussi d’analyser l’activité en touche au travers d’une application développée spécialement à cette fin.
Avec les biotechs, la FFR ambitionne aussi de personnaliser la préparation individuelle des joueurs. La fédération suit pour cela des marqueurs biologiques. A J+2 après un match, un prélèvement sanguin est réalisé au travers de quelques gouttes de sang pour mesurer le niveau de récupération des joueurs.
“Nous le faisons systématiquement sur les équipes principales. Nous voulons aller plus loin là-dessus. C’est un champ technologique qui promet d’être incroyable. Nous attendons avec impatience tous ces développements.”
Pas question d’être techno-béat cependant. Julien Piscione tient à marquer une frontière entre innovation technologique et innovation sportive. “Nous avons accès à des innovations qui nous permettent par exemple de mesurer tout ce qu’on souhaite. La question centrale : cette innovation aura-t-elle un impact sur la performance sportive ? Est-ce un outil ou un gadget ?”, explique-t-il.
Des propositions technologiques, la fédération de rugby en reçoit de nombreuses, notamment pour des “urinoires intelligents”. Évaluer l’intérêt de ces solutions, c’est une partie de la mission du département performance.
Les expérimentations portent aussi sur un projet de touche virtuelle développé avec Orange. Le PoC est supervisé par l’entraîneur de la touche du XV tricolore, Karim Ghezal. “Nous y plaçons beaucoup d’espoirs”. A l’issue, la FFR pourra déterminer si la réalité virtuelle peut constituer un véritable outil de travail ou une application à réserver plutôt aux fans de l’ovalie.
Sport et Data & IA : une histoire qui se construit dans le temps
Le recours à la technologie, dont l’exploitation des données et de l’intelligence artificielle, ne date pas d’hier. Les usages se développent cependant, au service des spectateurs, comme des sportifs de haut niveau. Et ce n’est sans doute pas prêt de changer. Ci-dessous une sélection d’article dont je vous recommande la lecture :
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