Data & IA outils naturels pour la gestion des ressources et des énergies
Dans l’industrie minière comme dans la gestion de l’eau, mais aussi des énergies renouvelables et des déchets, l'IA remplit différentes fonctions clés. Témoignages d'Eau de Paris, Eramet et Suez.
Le 19 juin, Engie R&D réunissait ses experts des énergies à Lyon à l’occasion de la première édition de son événement interne ExpANDers. L’opportunité pour l’entreprise d’acculturer ses chercheurs aux usages dans son secteur de l’intelligence artificielle, dont l’IA générative devenue une thématique stratégique dans cette industrie.
Pour illustrer les applications opérationnelles permises par l’IA et les réflexions en cours autour de la GenAI, deux spécialistes étaient invités à témoigner : Katarina Krcunovic, Chief Data Officer d’Eau de Paris et Jean-Loup Loyer, Chief Data & Analytics Officer d’Eramet.
Optimiser les processus et améliorer la qualité de service
Eau de Paris, en charge de la production, du transport et de la distribution de l'eau dans la capitale, gère des infrastructures lourdes, dont 1200 points d’eau potable et un réseau de 2050 km de canalisations servant 3 millions de consommateurs.
Et l’eau, comme l’énergie, constitue un “produit de première nécessité”, rappelle la CDO de l’entreprise publique. Afin de gérer au mieux cette ressource, “Data & IA sont des leviers activés pour optimiser les processus et améliorer la qualité de service.”
Mais pour être en capacité de mobiliser ces leviers, Eau de Paris a dû mettre en place une organisation et internaliser des compétences. Des recrutements ont été réalisés. Mais l’entreprise a également eu recours à du reskilling en proposant à des collaborateurs des reconversions dans la Data.
“Cela nous permettait de capitaliser sur leurs compétences métiers, qui sont, soulignons-le, complexes à acquérir. Nous avons donc pu orienter des employés vers des postes de Data Analyste et de Data Ingénieur”, précise Katarina Krcunovic.
Focaliser les sujets Data & IA sur les opérations d’Eramet
Avec la Data et l’IA, le groupe minier Eramet a lui aussi fait évoluer certains de ses métiers, dont ceux de métallurgiste et de géologue. Les usages des données et de l’intelligence artificielle se concentrent en effet sur les opérations. Son CDO appartient d’ailleurs à la direction des opérations d’Eramet.
“La vision du Comex était véritablement de focaliser les sujets Data & IA sur les opérations”, insiste Jean-Loup Loyer. “De nombreuses solutions à destination des collaborateurs et des fonctions support sont disponibles sur le marché.”
“La direction a donc estimé que les moyens devaient être alloués au cœur d’activité (...) La volonté chez nous, c’est d’embarquer la Data dans les métiers, de former des métallurgistes, des géologues, des logisticiens à l’IA, mais aussi au Data Management. La gouvernance est critique en effet. Sans bonne données, difficile d’imaginer des usages performants des algorithmes”, justifie le CDO.
Opérateur d’infrastructures lourdes, comme Eau de Paris, Eramet exploite historiquement des technologies d’IA (dites “d’ancienne génération”), par exemple au niveau des boucles de contrôle des fours métallurgiques et des pompes.
“Ce qui a réellement changé depuis 10-15 ans, c’est le Big Data, la possibilité de croiser des masses de données importantes et de natures diverses : séries temporelles, images, sons, données tabulaires…”, rappelle Jean-Loup Loyer pour qui la population d’ingénieurs qui compose l’effectif d’Eramet constituait “un terreau fertile” pour l’adoption de l’IA.
IA adossée aux fours métallurgiques
En s’appuyant sur ses compétences et ses expertises métiers, le groupe minier a donc mis en œuvre des chantiers IA, par exemple afin d’optimiser le fonctionnement de ses fours métallurgiques. Sont captées les données de centaines de capteurs équipant les fours et qui mesurent des milliers de variables.
Le traitement de ces données permet une “classification en temps réel par du clustering hiérarchique de la typologie de process. Avec des algorithmes d’analyse séquentielle, nous pouvons prédire les actions à mener pour les métallurgistes pour s’aligner sur un procédé optimum, par exemple réduire la puissance des fours de 30% durant deux jours.”
L’IA intervient aussi chez Eramet pour procéder à de la maintenance prédictive sur le réseau ferré du Gabon. Ces infrastructures, très sollicitées par une explosion des volumes de production, sont impactées par les conditions équatoriales.
De multiples sources de données ont été croisées (Lidar, images de drone, géométrie…) pour prédire les zones du réseau sujettes à problèmes. L’outil développé génère des recommandations pour les experts de la maintenance.
L’IA, via la Computer Vision et des photos capturées par des drones, est également exploitée pour concilier planification de l’activité minière et respect des engagements environnementaux.
Intégration d’une smartball dans une conduite en fonctionnement
Les usages de l’IA chez Eau de Paris ne sont pas si éloignés de ceux d’Eramet. Ils ont en particulier pour objectif de favoriser “une économie de la ressource”, explique Katarina Krcunovic.
La donnée et ses traitements visent donc avant tout “à minimiser autant que possible, au cours du process de production et de distribution, les pertes en eau.”
Pour répondre à cette problématique au travers d’une meilleure localisation des fuites, Eau de Paris a déployé des capteurs sur son réseau - visitable, mais difficile d’accès pour des techniciens.
“Nous détections les fuites, mais nous éprouvions des difficultés à les localiser. Cela se traduisait par une longue durée d’intervention”, traduit la CDO. La solution a consisté à déployer des capteurs acoustiques. “C’est en production avec de bons résultats, à commencer par un temps de détection et d’intervention plus court, et donc des fuites moindres.”
La lutte contre les fuites s’applique aussi aux conduites enterrées via “l’intégration d’une smartball dans une conduite en fonctionnement. Elle a permis de détecter les fuites sur tout le parcours de la conduite et ainsi de programmer dans un second temps les interventions dans le cadre d’une maintenance planifiée.”
Modélisation hydraulique pour simuler les impacts d’un arrêt d’eau
Eau de Paris développe par ailleurs des applications de l’IA dans le domaine de la modélisation hydraulique. “Cela permet de simuler le temps de parcours dans un réseau, son débit, sa pression.” La modélisation doit s’intégrer à terme au processus de programmation des arrêts d’eau et permettre d’anticiper les impacts (comme une baisse de pression ou des coupures chez des abonnés).
Pour faire émerger d’autres cas d’usage et favoriser ensuite l’adoption des nouveaux outils, l'acculturation constitue une démarche essentielle, souligne Jean-Loup Loyer. Lors de leurs visites sur les sites industriels, les experts Data procèdent ainsi régulièrement à des séances de sensibilisation et d'information d’une à deux heures.
Des formations plus poussées sont aussi dispensées. “Nous formons régulièrement, avec des partenaires comme DataScientest, des cohortes de métallurgistes, géologues, logisticiens et spécialistes maintenance à la Data Science ou à l’analyse de données”, ajoute le CDO.
Les projets IA eux-mêmes sont l’occasion de procéder à de la montée en compétences au profit des experts métiers dans une optique “d’implication active des collaborateurs et d’anticipation des impacts”.
Intégrer les outils d’IA dans les applications métiers
Chez Eau de Paris, IA et données ne “changent pas la mission, mais la manière de faire”, réagit Katarina Krcunovic.
Un “accompagnement” est donc mis en œuvre, notamment “afin que les outils soient compris, utilisés et que les métiers se les approprient.” Pour faciliter cette appropriation, la direction Data et la DSI souhaitent d’ailleurs une intégration directe aux outils du quotidien.
Pour les collaborateurs chargés des interventions, il s’agit ainsi d’intégrer la modélisation hydraulique au SIG (Système d'Information Géographique) pour la programmation des arrêts d’eau. Cela exige cependant des temps de simulation réduits et des échanges de flux inter-applicatifs.
L’implémentation de l’IA générative constituera un autre défi. Les études sont en cours, mais le déploiement est conditionné à la libération de ressources déjà engagées sur d’autres projets.
“Nous réfléchissons aux cas d’usage pertinents tout en vérifiant s’ils ne pourraient pas être traités par de l’IA classique.”
IA générative : make or buy, mais aussi ML classique !
Eau de Paris attend aussi des grands éditeurs du marché qu’ils proposent des solutions clés en main à base d’IA générative. L’équation du make or buy reste en effet d’actualité avec la GenAI et nombre d’éditeurs accélèrent les développements dans ce secteur. Pour les applications transverses de l’IA générative (traduction, synthèse de réunion, etc.), Eramet privilégie les produits sur étagère.
Au niveau des opérations, un recensement des cas d’usage est en cours de finalisation. Ils portent, par exemple, sur la génération de plans de maintenance et de plans miniers, ou encore l’exploration géologique - via des croisements de données, dont des rapports d’organismes spécialisés.
“Les projets en IA générative ne sont pas nécessairement ceux qui présentent le plus de valeur dans l’immédiat. Il y a beaucoup plus de valeur à dégager avec du machine learning et du deep learning. Pour autant, nous allons lancer des travaux et établir une feuille de route précise sur l’IA générative, qui s’enrichira au fil des mois et des années.”
Un premier cas d’usage, en cours de priorisation sur la base de sa faisabilité et de sa pertinence, fera ainsi l’objet de premières actions au cours des toutes prochaines semaines, annonce Jean-Loup Loyer.
“Nous construisons le business case de chacun des cas d’usage identifiés (...) Le plus prometteur, sur la base des analyses préliminaires, sera ensuite lancé.”
IA chez Suez : de l’eau à la démocratisation par la GenAI
Suez a débuté ses usages de l’intelligence artificielle dans le domaine de l’eau au travers de nombreux systèmes d’optimisation du fonctionnement des usines. Avec l’IA générative, l’entreprise étend les applications de ces technologies à plus de métiers.
Le groupe Suez a démarré ses développements en intelligence artificielle en se concentrant sur ses activités dans la gestion de l’eau. “Nous disposons de multiples systèmes visant à optimiser le fonctionnement de nos usines”, témoigne la Head of Data & IA de l’entreprise, Claire Mathieu.
Optimisation de l’outil industriel et de sa consommation d’énergie, détection de fuites sur les réseaux et renouvellement des infrastructures figurent ainsi parmi les applications en production de l’IA chez Suez.
La sortie de ChatGPT fin 2022 a été, comme dans d’autres entreprises, à l'origine d’une réflexion stratégique sur les usages potentiels de l’IA générative.
Un programme GenAI sponsorisé par le top management
“Très vite, comme les autres membres de la communauté Data & IA dans l’industrie, nous avons jugé nécessaire d’explorer ces technologies”, explique la CDO.
Cette exploration s’est traduite par le lancement d’une journée IA en 2023 à destination du Top40 de Suez. “Cela a été le début d’un programme GenAI démarré en janvier 2024.”
Sponsorisé par les dirigeants de l’entreprise, le programme repose sur une implication directe de représentants des différentes directions du groupe. Celles-ci ont été actrices de l’identification des cas d’usage de l’IA générative.
Des séances de brainstorming ont pour cela été organisées. Y participaient des experts métiers de différentes fonctions, dont les RH et le marketing, par exemple. “C’est avec eux que nous sommes allés trouver les cas les plus pertinents”, déclare Claire Mathieu.
Parmi ces usages de l’IA générative, la CDO cite celui à destination des équipes marketing pour la refonte du site de l'organisation. La GenAI intervient ainsi “comme une aide à la génération de contenu en prenant en compte les attentes des clients, en se mettant à leur place. Ces outils sont très puissants pour de telles finalités.”
De l’aide à la refonte des contenus et à la réponse à appel d’offres
Avec des centaines de pages Web à réécrire, l’IA apparaît comme une aide précieuse. “Elle fait gagner un temps fou”, réagit la Head of Data de Suez. Mais la GenAI peut aussi servir des besoins commerciaux, en particulier en aidant à répondre aux appels d’offres.
“Nous utilisons l’IA générative pour analyser le contenu et non pas pour répondre directement en automatique. C’est un outil qui accélère le processus de réponse à appel d’offres. Cela permet aux commerciaux de se focaliser sur les aspects différenciants.”
Suez développe aussi des usages auprès de ses communautés d’experts internes de l’eau et des déchets, qui échangent de nombreuses informations, dont de la documentation technique. L’assistant mis à disposition des experts a ainsi pour but de faciliter l’accès à la documentation, c’est-à-dire l’exploitation et la consommation de la connaissance.
Ce projet est en cours de développement. Claire Mathieu tient à préciser qu’un tel outil représente un défi technique. “Les complexités d’intégration IT sont très concrètes”, prévient-elle.
De la formation ciblée pour accompagner la phase exploratoire
La bonne utilisation des solutions d’IA générative nécessite aussi de préparer les collaborateurs.
Des actions de formation sont menées. Elles visent aussi à lutter contre les idées préconçues associées à la GenAI et à sensibiliser aux risques. A ce stade, la formation concerne spécifiquement les participants (une centaine) du programme exploratoire lancé par Suez.
La formation comprend du présentiel avec un intervenant externe et des sessions d’e-learning (7 heures) à la carte. Ces actions présentent par exemple les modes d’utilisation des outils de GenAI, comme les bonnes pratiques en matière de prompt.
“Les retours des métiers sont très positifs. Le programme les aide à comprendre ce qu’il est possible de faire avec ces solutions et également d’en saisir les limites”, se félicite Claire Mathieu.
Mais pour elle, une implémentation réussie repose aussi sur “une dynamique de transformation” et une compréhension des tâches à confier à l’IA dans “des processus en mutation”.
“Il faut repenser les process en même temps qu’on intègre un peu de GenAI. Cela ne peut donc se faire qu’avec des équipes en transformation, qui vont réfléchir aux modes de travail de demain. Ajouter de la GenAI dans des processus obsolètes ou en passe de l’être ne fait pas sens.”
Les analyses et actualités Data & IA
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